Aliénor, la duchesse deux fois reine | |
Née en 1120 ou 1122, la reine Aliénor accueille la mort le 1er avril 1204 à quatre-vingts ans passés dans sa chère abbaye de Fontevrault, près de Saumur. Celle-ci deviendra la nécropole des Plantagenêt. Petite-fille du troubadour Guillaume IX d'Aquitaine, qui célébrait l'amour courtois et accueillait les poètes à la cour de Poitiers, Aliénor ne faillit pas à la tradition familiale. Elle hérita à 15 ans du comté de Poitiers et des duchés d'Aquitaine et de Gascogne. Elle eût deux filles du roi de France et huit enfants de celui d'Angleterre. Elle donna le jour au dernier, le futur Jean sans Terre, dans l'année de ses 45 ans. En 1137, le roi de France Louis VI le Gros a décidé de marier son fils, le dauphin Louis qui a dix-sept ans. La coutume au moyen-âge, veut que le Roi choisisse lui-même la fiancée de son fils. Le jeune Louis a de la chance. Son père, à l'instigation de l'abbé Suger, conseiller de la monarchie, a choisi pour lui le plus beau parti de toute l'Europe : une jeune princesse de trois ans sa cadette, jolie et enjoué, Aliénor, l'héritière de ce beau duché d'Aquitaine aux riches terres ensoleillées. Suivi d'une brillante escorte, jeune prince l'accompagne à travers la France jusqu'à Paris. A la suite de ce mariage, célébré à Bordeaux en 1137, elle lui apporte en dot le plus grand duché du royaume. Louis le Jeune, fils cadet de Louis VI, avait été élevé à l'abbaye de Saint-Denis car il n'était pas destiné à régner avant que ne meure son frère aîné, Philippe. De son éducation, il a gardé l'empreinte monastique et peu de goût pour les armes. La jeune fille arrive à Paris pour apprendre que le vieux roi vient de mourir. Son mari va régner sous le nom de Louis VII le jeune. La voici reine de France à 15 ans ! Elle va demeurer quelque temps dans sa nouvelle capitale. Pourtant, elle regrette la lumière et la gaîté de son pays d'Aquitaine, dans ce Paris moyenâgeux aux ruelles étroites et sales, aux maisons sombres et inconfortables. Aux côtés de son mari, Louis VII le Jeune, Aliénor eût le privilège d'assister à la consécration de l'abbatiale de Saint-Denis, première révélation de l'art gothique. Au fil du temps la mésentente s'installe entre les époux, aggravée par l'absence d'héritier mâle. Lorsque celui-ci l'emmène dans sa deuxième croisade, en 1147, elle traverse l'Europe et l'Anatolie à cheval, la Méditerranée en bateau. Un tel voyage n'allait pas sans difficulté mais que de satisfactions en retour ! Aliénor voit de ses propres yeux la fabuleuse cité orientale de Byzance. Elle visite la principauté chrétienne d'Antioche, elle entre en procession dans Jérusalem, la ville Sainte. Peu de souverains d'Europe auront connu de telles aventures et c'est elle, Aliénor, qui les vit ! Déjà cette reine s'avère une femme remarquable. Mais la mésentente étant là («J'ai cru épouser un homme, non un moine», aurait-elle confiée), elle demande en chemin le divorce (sur incitation de son oncle avec lequel elle aurait une relation ?). Si le motif prétexté est communément admis (consanguinité), le fait que la demande soit à l'initiative d'une femme est un scandale (d'autant plus que l'Eglise achève à cette époque de faire du mariage le septième sacrement, afin de maîtriser l'institution matrimoniale). On l'accuse d'avoir causé l'échec de la croisade, la présence de femmes étant perturbante pour les combattants (on va même jusqu'à l'accuser d'avoir partagé la couche de Saladin). Sur le chemin du retour, le pape Eugène III tente de réconcilier les époux et les remarie. Mais ni son rang ni sa renommée ne la mettent à l'abri des pirates grecs qui prennent son navire à l'abordage sur le chemin du retour et la garde prisonnière. Il lui faut attendre deux mois avant de retrouver, en Italie son royal époux. Aliénor finit par obtenir de l'Eglise la dissolution de ce mariage 3 ans plus tard, en 1152. Louis VII s'est résigné à la perdre, la croyant incapable de donner un héritier mâle. Louis VII se remaria et aura la chance d'engendrer le futur Philippe Auguste. Celui-ci sortira la monarchie capétienne de la médiocrité et lui donnera le premier rôle en Europe. Quelques semaines plus tard, elle se remarie avec Henri Plantagenêt (de dix ans son cadet)(le nom de famille vient de ce que le grand-père avait coutume de planter une branche de genêt dans son chapeau !), lui apportant ainsi l'Aquitaine (Poitou, Guyenne, Gascogne), après avoir évité deux tentatives d'enlèvement sur le chemin qui la ramenait à Poitiers (car elle représentait un beau parti, et la femme est à cette époque considérée comme un objet dont on s'empare, de gré ou de force). Les époux transgressent ainsi deux interdictions : d'une part, il y a entre eux le même lien de consanguinité qu'entre Aliénor et Louis ; d'autre part, Aliénor aurait connu le père d'Henri (ce qui constitue un inceste du deuxième degré). Henri est l'héritier de la Normandie et de l'Anjou. Il est aussi, par sa mère, le petit-fils du roi d'Angleterre Henri 1er Beauclerc. Il est devenu son héritier direct par un concours de circonstances extraordinaire. Henri peu de temps après, devient roi d'Angleterre sous le nom d'Henri II. Henri et Aliénor se retrouvent en quelques mois souverains de l'Angleterre et de tout l'Ouest de la France, de Calais à Bordeaux. Un véritable « Empire angevin »! Henri et Aliénor semblaient faits l'un pour l'autre. Ensemble, ils administraient leurs provinces françaises et chacun d'eux appréciait en l'autre la même ardeur à vivre. Mais lorsque Henri regagne son royaume d'Angleterre et installe la reine dans un château des bords de la Tamise, elle se sent soudain seule. La question qui lui vient tout le temps en tête est : pourquoi ces Anglais ne savent-ils pas s'amuser ? Henri se préoccupe peu de sa femme (si ce n'est pour l'engrosser). Beau et fougueux, de dix ans son cadet, il a le front de tromper Aliénor avec plusieurs courtisanes dont la plus célèbre, la Belle Rosamonde (Fair Rosamund) mourut mystérieusement empoisonnée. Son destin légendaire inspira de grands poètes, comme Chaucer. Aliénor, qui a la rancune tenace, se retire à Poitiers où elle entretient un cercle brillant de troubadours et d'artistes, comme Bernard de Ventadour. Ses quatre fils l'accompagnent mais les « jeunes aigles » d'Henri et d'Aliénor (Henri, Geoffroy, Richard et Jean) sont des oisons chamailleurs. Bien que leur père leur ait promis de laisser à chacun une part égale de ses terres, ils ne cessent de se jalouser et de se quereller. C'est pourquoi celle-ci, à la recherche d'un plus grand pouvoir et blessée par l'infidélité de son époux, offre son appui à ses fils lorsque ceux-ci se révoltent avec des barons contre un père qui tarde à mourir : cette insoumission de la femme à son mari constitue un second scandale. Henri II trouve moyen de se saisir de sa femme, tandis que celle-ci voyage sous un déguisement de page ! La reine est reléguée pendant de 15 années dans un couvent à Winchester, jusqu'à la mort de son mari en 1189, celui-ci fini abandonné par presque tous et tourmenté par le remords d'avoir commandité l'assassinat de son fidèle ami, le pieux archevêque Thomas Becket. Elle prépare ensuite les Anglais à recevoir leur nouveau roi : Richard Ier, dit Coeur de Lion, qui n'a pas mis les pieds dans son royaume depuis l'âge de sept ans. Grâce à elle, on lui fait un accueil enthousiaste. Lors du départ de Richard pour la Troisième Croisade, elle gouverne le royaume. Mais elle a encore fort à faire pour sauver la mise de son cher fils, tandis qu'il est fait prisonnier en Allemagne, à son retour de Croisade. Son frère Jean n'hésite pas en effet à s'associer à Philippe Auguste pour le dépouiller de son pouvoir. Elle repart alors en l'Angleterre pour asseoir l'autorité de Richard Coeur de Lion sur le trône d'Angleterre. La mort inattendue et tragique de celui-ci en 1199 donne la couronne à son autre fils Jean Sans Terre qu'elle soutient jusqu'à la mort. Après ces épreuves, Aliénor peut finir sa vie dans la plénitude de ses fonctions de reine mère. Sa petite-fille, Blanche de Castille, sera la mère dévouée du roi Saint Louis. Elle gouvernera la France de 1226 à 1242. Elle passe ses derniers jours au monastère de Fontevraut jusqu'à sa mort en 1204. Légende dès son vivant, elle est généralement présentée comme une putain perverse, un instrument du diable. Elle a subi le sort de toutes les femmes à la tête d'un domaine intéressant : épousée pour donner rapidement des héritiers mâles. Ce qui la distingue, c'est qu'elle a tenté de secouer le joug, sans que cela lui soit réellement profitable. Tout en étant exceptionnelle, la vie d'Aliénor témoigne du comportement très libre des femmes au Moyen Âge, du moins dans les classes supérieures. Elles suivent leur mari à la croisade, étudient, animent des cours etc. Elles sont néanmoins handicapées dans la conduite de la guerre. Comme Aliénor, elles doivent dans ces occasions se faire épauler par un mari, un fils ou un fidèle vassal. On peut noter que l'abbaye de Fontevrault réunissait deux communautés d'hommes et une communauté de femmes sous l'autorité... d'une abbesse. Les femmes perdront leur autonomie à la Renaissance, quand les juristes ressusciteront le droit romain et le statut d'infériorité féminine qui s'y attache. Le Code civil de Napoléon, plus romain que nature, aggravera encore cette situation. On ne dispose d'aucun document direct, d'aucune représentation réaliste (Aliénor est décrite comme très belle car on suppose qu'elle a dû l'être pour susciter la passion de Louis VII et attirer les hommes). Les informations dont on dispose proviennent tous d'hommes, qui plus est, d'hommes d'Eglise. On peut donc fortement douter de leur impartialité envers une femme plutôt rebelle.
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